Tensions de recrutement : "pour les résoudre, il faudra puiser dans le vivier des séniors !"

Publié le 18 janvier 2024 | Dernière mise à jour le 19 janvier 2024

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En région Centre-Val de Loire, on dénombre près de 3190 cadres de plus de 55 ans qui peinent à obtenir un entretien avec un recruteur. En dépit du recul programmé du départ à la retraite à 64 ans et bien que les difficultés de recrutement n'aient jamais été autant d'actualité, beaucoup d'employeurs n'ont pas encore fait évoluer leurs pratiques de recrutement. Retour avec Nicolas François, directeur régional de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) sur les initiatives prises par son association pour débloquer cette situation.
Nicolas FRANÇOIS, Directeur régional de l’APEC Centre Val de Loire

L’APEC a réalisé une campagne publicitaire choc sur les séniors (silhouettes de dos, cheveux grisonnants, étiquetées « périmés »). Quel est l’objectif de cette campagne ?
Nicolas FRANCOIS : Avec 712 800 cadres en emploi âgés de 55 ans et plus, les cadres séniors représentent 18% de cette catégorie de salariés. Il nous semblait essentiel de les rendre plus visibles. L’APEC avait déjà pris la parole en 2022 sur les salariés quinqua, avec un discours très positif, orienté vers le futur. Mais en 1 an la situation de l’emploi des séniors s’est dégradée.
Ce sont les cadres demandeurs d’emploi qui nous ont exprimé combien il était difficile d’obtenir un entretien, combien ils finissaient par se sentir en “date limite de consommation”, avec l’impression que leurs compétences étaient périmées...
D’où l’idée dans cette campagne d’incarner ces propos. Et de faire réagir à ce dysfonctionnement : d’un côté les entreprises ont de la difficulté à recruter, disent manquer de candidats... De l’autre, il y a 100 000 demandeurs d’emploi, expérimentés, qui peinent à obtenir un rendez-vous avec un recruteur.
En région Centre, cela concerne 3 190 cadres de plus de 55 ans disponibles immédiatement.
Ne pas utiliser ce vivier de salariés serait un vrai gâchis. Chacun a une responsabilité d’action par rapport à ce dysfonctionnement sociétal. D’autant qu’en 2050, plus d’une personne sur trois aura plus de 60 ans, contre une sur cinq en 2000.

Que fait l’Apec Centre Val de Loire sur le sujet ?
NF : En 2023 nous avons organisé la 1ère édition de notre dispositif « Talents Séniors ». 29 cadres demandeurs d’emploi ont été parrainés et accompagnés pendant 6 mois par 29 personnalités de la vie économique et politique locale. Et ça marche. A la fin du dispositif, 70% sont en situation positive (emploi, création d’activité, ou entrée en formation). Pour 2024 ce sera reconduit avec un objectif d’accompagnement de 35 ou 40 cadres séniors. La date de démarrage de cette nouvelle saison est en mars 2024.
Nous menons également des actions auprès des entreprises, des OPCO, des organisations patronales pour les sensibiliser au recrutement des salariés séniors, à travers des web ateliers, des conférences, la participation à des initiatives dans les territoires, menées par le réseau « les entreprises s’engagent »...
Nous travaillons à sensibiliser les managers sur les représentations erronées qui pèsent sur les salariés expérimentés.

Quelles sont les représentations erronées sur les séniors ? Est-ce ce qui freine les entreprises ?
NF : Notre société d’une façon générale fait de l’âgisme. Les ainés sont cachés. En entreprise, on a intégré depuis longtemps qu’à 60 ans c’est terminé, on arrête la performance. Mais cette conception est dépassée. Et c’est encore plus vrai pour les cadres qui sont protégés par rapport à d’autres métiers. A 60 ans, ils peuvent être victimes de ruptures mais ne sont pas usés physiquement par le travail. Or les représentations n’ont pas encore évolué. Cela oblige chacun, à commencer par les séniors eux-mêmes. A eux aussi de ne pas se définir par rapport à leur âge, de ne pas vanter « avant », de continuer à se former, de se monter curieux, de se projeter, ...
Côté entreprises, je dirai qu’il y a 3 préjugés majeurs sur l’emploi des séniors.

  • D’abord penser qu’ils ne sont pas immédiatement compatibles, adaptés.
    C’est faux ! S’il y a une génération qui a traversé des évolutions au sein du marché du travail, c’est bien la génération des plus de 50 ans : ils ont été confrontés à l’arrivée de la robotisation, de la digitalisation, d’internet, de la numérisation, du smartphone, du lean management, du télétravail.... Ils ont montré une grande adaptabilité.
    Pour continuer à faire évoluer leurs compétences, accompagnez-les ! Formez-les !
  • Ensuite qu’ils coutent trop cher.
    Le salaire moyen des cadres de 45 ans s’établit à 66 000 euros, celui des cadres de 55 ans à 71 000 euros annuels. 5000 euros annuels de différence ce n’est pas énorme pour l’entreprise en contrepartie d’une expérience professionnelle de 10 ans !
    Mais si les coûts sont un frein, les 100 000 demandeurs d’emploi de plus 50 ans ont assez de capacité d’adaptation pour pouvoir se partager entre 2 employeurs et activer le dispositif du temps partagé.
  • Enfin qu’ils sont plus difficiles à manager.
    Mais on parle ici d’une population autonome, engagée, fidèle, loyale, attachée au collectif et engagée sur la qualité du service. Après 3 semaines de travail un sénior ne demandera pas de congé ! Il ou elle connait les règles de vie du collectif...

Est-ce que au fond, les entreprises ne sont pas indifférentes à l’expérience que peuvent mettre en avant les séniors ?
NF : Dans certaines entreprises, passé un certain âge, le salarié n’est plus ok, on n’investit plus sur lui. On ne le forme plus, on ne l’augmente plus ... On risque de passer vite de l’âgisme au dégagisme.
On a beaucoup mis en œuvre de pré-retraites progressives, de mécanismes de départ car longtemps on a cherché à faire place pour les plus jeunes qui n’avaient pas de travail. Il faut sortir de ces dispositifs et réinvestir sur les séniors. Cela peut passer par des aménagements du temps de travail, par exemple. Et surtout dès qu’on a un salarié, on le soutient, on le forme !
Les salariés expérimentés, cadres ou non cadres sont souvent engagés dans la vie civile, associative locale. Ces compétences et capacités-là qui sont reconnues à l’extérieur, pourquoi ne le seraient-elles plus en entreprises ? De toutes façons on ne pourra résoudre les difficultés de recrutement sans puiser dans le vivier des séniors.

La réforme sur l’âge de départ en retraite commence –t-elle à produire un impact sur les entreprises ?
NF : Ce qui change, ce sont les prises de parole sur les séniors : de l’APEC, de l’ANDRH [1], des organisations patronales, des syndicats salariés et des pouvoirs publics...
L’ANDRH a analysé que trop peu de DRH dans leur expérience de recrutement ont recruté un Sénior car les recrutements concernent le plus souvent des personnes en début ou en milieu de carrière. Les équipes de recrutement ne sont pas habitués à imaginer recruter des séniors.
Il faut donc affirmer que recruter un cadre expérimenté est une chance, une opportunité d’aller plus vite. Il est important de les former et de les informer.
Quand on recrute on cherche des compétences : quelqu’un qui sait faire, quelqu’un qui apporte des solutions à des défis. Ainsi les compétences n’ont ni genre ni âge.

Propos recueillis par Fabienne MIRAMOND-SCARDIA, extraits de la Newsletter "Dialogue social" N°33 de la DREETS.

Notes

[1Association nationale des directeurs de ressources humaines