A Châteaudun, 8 détenus « apprentis boulangers » préparent leur réinsertion professionnelle

Publié le 31 octobre 2023 | Dernière mise à jour le 21 novembre 2023

Un atelier chantier d’insertion (ACI) en « boulangerie » a démarré en juillet 2022 au sein du centre de détention de Châteaudun. Chaque jour, 8 détenus y produisent 600 baguettes de pain à destination des 540 personnes incarcérées et du restaurant administratif. Objectif : leur donner accès à une activité rémunérée et valorisante et leur permettre d’acquérir une qualification reconnue par la fédération de la boulangerie afin de faciliter leur réinsertion professionnelle une fois leur peine purgée.
De gauche à droite, Alexandre HEURTAULT, directeur en charge de la détention, Maxime MICHEL, chef de l’établissement pénitentiaire, Jérôme GALERNE, encadrant technique de l’atelier, M.BABIN, directeur départemental du SPIP de Chartres, Laurent JEGOT, capitaine pénitentiaire en charge du travail et de la formation professionnelle des personnes détenues et Marie BUQUET, responsable des CPIP du centre de détention.

Après avoir franchi dès le hall d’entrée le détecteur de métaux et traverser de nombreux sas contrôlés par des surveillants invisibles, cachés derrière des vitres sans tain, le directeur de l’établissement pénitentiaire, Maxime MICHEL, nous ouvre les portes de l’atelier d’insertion boulangerie. Plusieurs détenus s’activent fébrilement aux différents postes de production : pétrissage, cuisson, façonnage du pain… On se croirait dans un laboratoire. Les murs et le sol sont carrelés en blanc et les consignes d’hygiène et de propreté semblent être respectées à la lettre. Le matériel et les machines sont flambants neufs.
« Dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt lancé par l’administration pénitentiaire, l’association SAS Formation, qui avait déjà ouvert en 2020 un chantier d’insertion boulangerie à Douai, a été sélectionnée pour le centre de Châteaudun  » précise M. MICHEL. «  Elle a embauché 8 détenus qui ont démarré leur contrat en juillet 2022. Ils sont sur des mi-temps et se relaient pour faire tourner l’atelier. Ils bénéficient de l’expérience d’un encadrant technique, ancien boulanger, Jérôme GALERNE qui supervise leur activité du lundi au vendredi. Le WE, ils travaillent en totale autonomie  ».

Visionnez le reportage photo de la visite réalisé par Bastien CHEREAU, apprenti à la DREETS Centre-Val de Loire

Encadrement bienveillant

Jérôme Galerne

Les 8 salariés ont signé des « contrats d’emploi pénitentiaire » et dans ce cadre leur rémunération ne peut être inférieure à 45% du SMIC horaire. Le rôle de l’encadrant technique et sa capacité à motiver et encadrer son équipe apparaissent d’emblée primordiales pour la bonne marche du chantier. Jérôme Galerne, après avoir été à son compte durant 15 ans à la tête de sa boulangerie, souhaitait passer plus de temps à transmettre sa passion du métier. Natif de Châteaudun, il est fier d’avoir été recruté sur ce poste et s’épanouit visiblement pleinement au milieu de ses « poulains » qu’ils considèrent avant tout comme des apprentis boulangers et non comme des détenus. «  Je prends le temps de faire les choses avec eux, je vais à leur rythme  » indique-t-il. «  Ce sont des jeunes qui ont perdu leurs repères. Mais je ne veux pas savoir ce qu’ils ont fait avant. L’essentiel est qu’ils soient là présents chaque matin et qu’ils respectent l’esprit d’équipe qui pour moi est très important car on doit s’entraider entre nous. Je suis donc bienveillant et je considère que l’on a tous le droit à l’erreur. Mais je suis aussi leur chef et il n’y a pas de copinage. Ma limite, ils la connaissent et ils savent qu’il y a un seuil à ne pas dépasser  ».
Kevin [1] purge une peine de 6 ans et est en train de pétrir la pâte. Il tient à confirmer les propos de son « patron » : « Jérôme a su appuyer sur des mots pour que je change. Il ne me juge pas. Il me respecte ». De fait, il aura suffi de 3 mois à Kevin pour apprendre les bases du métier et passer en juin dernier avec succès son certificat de qualification professionnelle (CQP) d’ouvrier polyvalent en boulangerie comme 6 autres de ses collègues en détention. 100% des 7 détenus s’étant présentés à l’examen ont donc obtenu leur diplôme.

Formation en situation de travail

Car le principe de cet atelier-chantier d’insertion (ACI) est de mixer à la fois la production en situation de travail et la formation. «  Notre rôle est d’assurer l’ingénierie pédagogique du chantier et nous avons élaboré des fiches pratiques sur toutes les tâches techniques ainsi qu’un livret de suivi de la formation qu’utilise l’encadrant technique  » explique Laurent DURIEZ, directeur de SAS Formation. «  Il y a en effet une partie un peu théorique, comme savoir travailler sur les proportions, qui figure sur nos fiches. En juin dernier, nous avons organisé un jury constitué de deux professionnels, mandatés par la Fédération de la boulangerie, qui sont venus sur le site de Châteaudun questionner les détenus sur chaque poste de travail. Il s’agit de s’assurer de la bonne maîtrise des gestes et des process de production concrètement en situation de travail  ».

Préparer la sortie

« Nous avons aussi recruté une chargée d’insertion professionnelle (CIP) qui intervient à mi-temps au sein du centre de détention  » poursuit L. DURIEZ. « Car notre but est avant tout de favoriser à leur sortie la réinsertion professionnelle des détenus que nous avons recrutés et dont le quantum de peine restant à accomplir est compris entre 6 et 36 mois  ». La CIP de SAS Formation s’entretient avec chaque détenu et travaille en étroite liaison avec Pôle emploi, l’unité locale d’enseignement de l’Education nationale ainsi qu’avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Ce service, interne à l’administration pénitentiaire, a pour missions de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion socio-professionnelle des personnes condamnées. «  Nous faisons le lien entre le milieu ouvert et le milieu fermé  » explique Marie BUQUET qui encadre au sein du centre de Châteaudun 9 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). «  Nous pouvons être amenés à proposer des aménagements de peine au juge de l’application des peines si la situation d’un détenu le permet. Dans ce cas, nous suivons le détenu tout au long de sa peine probatoire en milieu ouvert  ». S’agissant des 8 salariés « apprentis boulangers », le but est de lever les freins à une réinsertion réussie sur le territoire visé par chacun à sa sortie. Cela peut être de rétablir ou de consolider les liens avec la famille, de trouver une solution de logement, de résoudre des problèmes de santé ou d’addictions et surtout de retrouver un emploi qui pourra être soit un contrat de travail ordinaire, soit, encore un contrat dans une structure d’insertion par l’activité économique, mais cette fois-ci en milieu ouvert.
A cet égard, le premier détenu recruté par SAS Formation à avoir quitté le centre de détention, a décroché un contrat dans une boulangerie, ce qui est plutôt de bonne augure.

Développer l’activité

Jérôme GALERNE, qui a aussi une expérience reconnue en tant que pâtissier, a proposé, avec l’accord de l’administration pénitentiaire, de fabriquer en parallèle à la production de pain des viennoiseries qu’il prend plaisir à offrir à ses visiteurs. «  Les détenus sont autorisés à cantiner les viennoiseries, dans la limite de 5 croissants et 5 pains au chocolat par semaine » détaille Maxime MICHEL qui rappelle aussi avec fierté le prix d’honneur du meilleur pain d’Eure-et-Loir obtenu par l’atelier-chantier d’insertion. Des prestations de type « cocktail salé ou sucré » sont aussi réalisées par l’atelier pour des commanditaires publics extérieurs tels que la mairie de Châteaudun avec laquelle une convention est en cours de rédaction. Sans oublier des prestations à l’occasion des évènements ponctuant la vie du centre de détention : galette des rois, cérémonie des vœux…
Toutes ces productions supplémentaires peuvent contribuer à l’équilibre économique de l’atelier boulangerie qui perçoit d’ores et déjà, en tant que structure d’insertion agréée, une subvention du ministère du travail au titre de l’aide au poste pour chaque salarié [2].
SAS Formation a par ailleurs souhaité se fournir en matière première auprès d’un meunier du département, les Moulins de Cherisy, près de Dreux. «  Dans tous nos chantiers, nous essayons de valoriser des producteurs locaux  » affirme Laurent DURIEZ. «  4 des détenus en insertion ont obtenu une permission de sortie et ont pu visiter les Moulins de Chérisy le 21 juin dernier encadrés par notre association et le SPIP. Cela a été une belle expérience pour eux car ils ont pu voir concrètement le circuit du blé, de la récolte jusqu’au tamisage et à la confection de centaines de références de farines. Cela a pu renforcer leur motivation  ».

Le développement de l’IAE en milieu carcéral

Pour mémoire, cette volonté de développer l’implantation de structures d’insertion par l’activité économique (IAE) au sein même des établissements pénitenciers est récente. C’est en 2016 que démarre en France le premier chantier d’insertion (rénovation de meubles) au centre de détention d’Oermingen (Bas-Rhin). Après plusieurs expériences pilotes de 2016 à 2019, le ministère du travail et le ministère de la justice décident d’accélérer le déploiement de l’IAE dans un environnement carcéral, déploiement qui est acté en 2019 au sein du Pacte d’ambition de l’IAE.

En savoir plus :

L’association Saint André Solidarité (SAS) Formation : association loi 1901, créée en 1990 et dont les champs d’intervention sont la formation professionnelle et l’insertion par l’activité économique ; 120 salariés en insertion (soit 85 ETP) dans le cadre d’une structure IAE.

Le Centre de détention de Châteaudun : Il héberge environ 540 détenus, uniquement de sexe masculin, tous déjà condamnés à des peines supérieures à 2 ans et présentant des perspectives de réinsertion. Le Centre n’est pas affecté par la surpopulation carcérale. Un détenu dispose d’une cellule.

Notes

[1le prénom a été changé

[2Sur 2023, la subvention globale allouée par le ministère du travail, au titre de l’aide au poste, a été calculée sur la base de 6 ETP, salariés en insertion de l’ACI de SAS Formation.