Le dialogue social patine dans les petites entreprises d’Indre-et-Loire

Publié le 6 décembre 2019

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Employeurs et salariés, élus ou délégués syndicaux, dans des entreprises de moins de 50 salariés, étaient invités par l’observatoire départemental du dialogue social et de la négociation collective [1] à participer, le 15 novembre dernier à l’IAE de Tours, à une Conférence-débat inédite, soutenue par la Direccte. Objectif : faire le point sur l’état de la négociation collective que le gouvernement entend favoriser dans les petites entreprises grâce aux ordonnances Travail de septembre 2017.

«  Plus de liberté pour négocier dans chaque entreprise des accords tenant compte de la réalité des salariés », « plus d’égalité pour assurer aux salariés et employeurs une négociation équitable avec des représentants du personnel mieux former à la négociation, mieux informer sur l’entreprise »… tels étaient les objectifs affichés par la Ministre du Travail avec les ordonnances de 2017. Deux ans plus tard, force est de constater qu’il n’y a pas eu d’envolée du nombre d’accords signés en 2017 et 2018 au sein des entreprises de moins de 50 salariés d’Indre-et-Loire.
A cela plusieurs explications comme l’indique, en préambule, Pierre Fabre, directeur départemental de la Direccte : « Depuis 2004, nous avons eu une succession de textes législatifs qui ont modifié en profondeur les règles de droit structurant le dialogue social. Ces règles, devenues complexes, posent le problème de leur appropriation par les employeurs et salariés. Par ailleurs, les syndicats sont toujours très peu représentés dans ces petites entreprises et l’on peut aussi se demander quelle est la réalité du droit d’accès des salariés à l’information économique, financière et sociale relative à leur entreprise ? ».

De nouveaux thèmes ouverts à la négociation d’entreprise

Pourtant, un champ très important de la négociation collective a été ouvert par la loi à l’accord d’entreprise comme l’a précisé Damien Chenu, Maître de conférences à l’Université de Droit d’Orléans, invité pour l’occasion à rappeler à tous les participants l’intérêt qu’il y avait à ouvrir une négociation dans son entreprise. « Désormais, vous pouvez négocier avec votre employeur l’annualisation du temps de travail pour mieux tenir compte des variations d’activité. A cette occasion, il est possible de s’accorder sur d’éventuelles majorations pour les heures supplémentaires. De même, vous pouvez fixer vos propres modalités d’application du forfait jour, sans tenir compte de l’accord de branche ».
Autre type d’accords que le gouvernement entend fortement promouvoir [2], et de fait négociables qu’au niveau de l’entreprise, ceux liés à l’intéressement ou à la participation. « La thématique « épargne salariale » représente ainsi 70% des 211 accords déposés en 2018 en Indre-et-Loire par des entreprises de moins de 50 salariés » observe Hugues Gourdin-Bertin, Directeur adjoint du travail, qui a comparé les thématiques des accords conclus entre petites et grandes entreprises (> 50 salariés).

3 possibilités pour conclure un accord en l’absence de DS

En l’absence de délégué syndical (DS), l’employeur d’une entreprise de moins de 20 salariés peut proposer unilatéralement un projet d’accord aux salariés qui, pour être valide, devra être ratifié à la majorité des 2/3 du personnel. Dans les entreprises de 11 à 49 salariés, l’employeur a la possibilité de négocier soit avec les élus du Conseil social et économique (CSE), mandatés ou non par une organisation syndicale (OS), soit, en l’absence de CSE, avec un ou des salariés mandatés par une OS. Dans ce dernier cas, l’accord ne sera valide qu’après approbation par la majorité des suffrages exprimés par le personnel.
En dépit de ces 3 nouvelles modalités de conclusion d’un accord d’entreprise, en cas de non présence syndicale, le nombre d’accords conclus depuis 2018 n’a pourtant guère progressé sur le département.

Un déficit de compétences en droit du travail

Pour expliquer ce manque d’engouement, tant du côté employeur que salarié, à s’emparer de ces nouveaux champs de négociation collective, Jacky Chauvière, DS FO chez Méchachrome, constate une appropriation insuffisantes de ces nouvelles règles en matière de droit du travail. « Je le vois très souvent lorsque je suis amené à négocier des protocoles électoraux pour le CSE dans des petites structures. Nous devons inciter tant les employeurs que les salariés à aller se former. Dans certains secteurs comme le commerce, il faut savoir que les employeurs n’ont eux-mêmes que très peu de soutien juridique de la part de leur branche ». Ce que confirme Pascal Oréal, représentant de l’UDESS [3], qui avoue que son organisation a bien du mal, faute de moyens, à conseiller et accompagner les dirigeants de petites associations qui souhaiteraient conclure un accord avec leurs salariés.

Des moyens insuffisants

Autre grief mis en exergue : le volume insuffisant du nombre d’heures de délégation syndicale dont disposent les élus du CSE, alors que ces derniers doivent dorénavant acquérir une double expertise que possédaient précédemment, pour une part les élus au CE et pour une autre part les élus au CHSCT, deux instances qui auront disparu à la fin de l’année. « Je me suis aperçu qu’employeurs et salariés ne disposaient pas du temps nécessaire à la négociation » témoigne un délégué syndical CFDT. « De plus, les salariés ne savent bien souvent pas exploiter les données sociales et économiques mis à leur disposition et peinent à définir une stratégie de négociation ».
Corollaire de cette situation : les accords d’entreprises relatifs au fonctionnement du CSE s’en tiennent bien souvent au minimum légal prévu par les textes. « Nous avons un manque de culture de la négociation en France au niveau de l’entreprise » remarque pour sa part Gérard Linas (CFDT Banques-Assurances) amenés à dialoguer avec des petits patrons souvent peu aguerris.

Du pain sur la planche pour l’Observatoire départemental

Enfin, selon plusieurs participants, il semble qu’il soit plus difficile de faire vivre et maintenir une section syndicale dans la durée dans une petite entreprise avec la mise en place du CSE. « Il faut impérativement être élu au CSE pour pouvoir être délégué syndical » note à ce sujet J.Chauvière. « C’est un double mandat très lourd à porter. Alors que dans les entreprises de plus de 50 salariés, il est courant de dissocier l’élu au CSE représentant du salarié et le délégué syndical à même de négocier ».
Au final, au regard des points de vue échanger lors de cette conférence-débat, les membres de l’observatoire départemental, dont le rôle est de favoriser et d’encourager le dialogue social au sein des petites entreprises (< 50 salariés), auront eu tout le loisir de constater la forte attente des représentants de salariés et des employeurs en matière d’accompagnement dans le domaine du droit social. A cet égard Pierre Fabre a tenu à rappeler qu’il appartient aux membres des organisations syndicales et patronales composant l’Observatoire d’en définir le programme d’action. Et de lancer : « Charge à vous d’être imaginatif car beaucoup de choses sont possibles ! ». Et pourquoi ne pas commencer par solliciter des étudiants pour analyser en détail le contenu des accords signés en Indre-et-Loire ?

Notes

[1Par ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017, chaque département doit se doter d’un Observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation collective

[2La loi PACTE a supprimé depuis le 1er janvier 2019 les charges sociales versées au titre de l’intéressement et de la participation par les entreprises de moins de 50 salariés

[3Union des entreprises de l’économie sociale et solidaire