Salariés sous addictions : des employeurs décident d’y faire face
Publié le 21 juin 2023 | Dernière mise à jour le 23 juin 2023
L’essor du nombre de salariés souffrant d’addiction au tabac, alcool, cannabis et autres drogues, ainsi qu’aux médicaments psychotropes ou encore aux jeux, concerne tous les secteurs de l’économie, même si la part d’usagers à risque est plus élevée dans certains domaines d’activité et métiers. Pénibilité, stress, enjeux de performance, compétition interne, recherche d’endurance font partie des raisons qui poussent les travailleurs à recourir à différentes substances, et contre lesquelles pouvoirs publics et entreprises privées doivent se mobiliser. La région Centre-Val de Loire se trouve particulièrement concernée, puisque ces addictions sont les premières causes de mortalité au travail, de cancer et de handicap non génétique chez les enfants.
Des employeurs souvent démunis
Lors de la table ronde, le Centre de gestion de la fonction publique territoriale d’Eure-et-Loir (CDG 28) a précisé qu’il intervenait à la demande d’employeurs souvent démunis lorsqu’un salarié est soupçonné de consommer des substances psychoactives, ou d’être visiblement sous leur emprise. Son rôle consiste à conseiller les employeurs sur les moyens d’action réglementaire et sur les modalités de protection des collègues du service. Il propose aussi une prise en charge adaptée du salarié concerné pour l’accompagner vers le soin sans stigmatisation, avec comme objectif d’éviter la désinsertion professionnelle et les congés maladie prolongés qui conduisent souvent à l’inaptitude. « L’idée est de déployer des actions collectives en rassemblant plusieurs partenaires qui vont travailler ensemble à chaque niveau » précise Estelle Escobar, responsable du pôle santé au travail au CDG 28.
Une vraie souffrance pour les usagers
La ville de Fleury-les-Aubrais, 21 000 habitants, emploie 600 agents et a engagé depuis 1998 une démarche pour lutter contre les conduites addictives. Après la perte de leur médecin du travail, la ville a adhéré au service de médecine préventive mis en place par Orléans métropole. En s’appuyant sur des représentants de personnel très actifs sur le sujet, l’équipe de direction s’est faite accompagnée en 2017 à la suite d’un appel à projets de l’ARACT. Cela lui a permis de faire prendre conscience à l’autorité territoriale que les addictions étaient en réalité une vraie souffrance et une maladie à part entière, et que le travail pouvait accentuer ce type de pathologie. « Les relations professionnelles et l’insécurité au travail, que ressentent aussi les fonctionnaires à travers les nouvelles organisations, augmentent les risques psychosociaux » souligne Grégory Formentin, ingénieur en prévention et gestion des risques.
En partant du principe qu’il valait mieux mettre bout à bout plusieurs petites actions pour faire un long chemin, l’accent a été mis en premier lieu sur la communication : Pan de mur garni de flyers traitant toutes les sortes d’addiction et rédaction d’articles dans le journal interne. La ville a aussi misé sur la sensibilisation, en s’appuyant par exemple sur les sauveteurs secouristes pour mettre en situation le salarié confronté à l’état d’ébriété d’un collègue. Troisième axe, créer des évènements organisés sur le temps de travail, tels qu’une journée de forum sur le thème des addictions, ou la participation des agents à des parcours santé, pour leur permettre de rencontrer des professionnels aptes à détecter les conduites addictives et donner des conseils. Enfin, au niveau de l’organisation, un gros travail a été réalisé sur les procédures, comme la création de fiches réflexe destinées aux encadrants ou l’utilisation cadrée de tests de dépistage, ainsi que sur la formation à la gestion du retour du collègue confronté à une addiction.
La pénibilité au travail peut conduire à l’addiction
Franck Sénelier, soignant à la métropole d’Orléans, illustre l’action de la médecine préventive avec un exemple emblématique. Contacté par un DRH qui avait connaissance de réunions clandestines d’agents ripeur dans les vestiaires pour boire de l’alcool fort, une enquête auto administrée a été menée pour comprendre les raisons de ce comportement. « Nous nous sommes aperçus que le métier était tellement dur qu’ils buvaient pour tenter d’avoir une cohésion d’équipe ». Les conseils donnés à l’employeur ont été d’une part d’être bien clair dans son règlement intérieur, mais également de travailler sur la pénibilité du travail qui engendrait de surcroit un fort absentéisme.
Autre cas évoqué par une infirmière de l’APST 41, celui d’un homme qui travaillait en tôlerie sur une plieuse et qui mettait de plus en plus de temps à effectuer ses tâches. Alertés par les stigmates de l’alcool, ses collègues ont prévenu le manager. Un entretien a été organisé avec la RH, un représentant du personnel et le service médical pour expliquer qu’il n’était pas possible de le maintenir à ce poste, trop dangereux pour sa sécurité. Après discussion et échanges insistants sur le fait qu’il était question de tout faire pour le maintenir dans sa fonction et non pas l’inverse, le salarié, au départ dans le déni, a fini par accepter d’entrer dans un parcours de soins, reconnaissant lui-même qu’il était « en trop plein ». Cette intervention lui a permis de sortir de l’addiction et de conserver son emploi.
Laurence BOLEAT