Accroître la part des produits frais et locaux dans l’aide alimentaire
Publié le 21 mars 2024 | Dernière mise à jour le 26 mars 2024
Face à l’inflation, de plus en plus de rayons antigaspi fleurissent dans les supermarchés. C’est une aubaine pour le consommateur mais une plaie pour les associations d’aide alimentaire qui se voient priver d’une bonne part d’approvisionnements en produits frais qu’elles récupéraient auparavant gratuitement. Le modèle économique de certaines d’entre elles s’en trouve profondément modifié.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la précarité alimentaire concerne un nombre croissant de français. Ainsi, selon le dernier baromètre 2023 du secours populaire, un tiers d’entre eux déclare avoir des difficultés à se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour et 36% affirment ne pas pouvoir consommer des fruits et légumes frais tous les jours. Cette difficulté d’accès à une nourriture équilibrée induit souvent des problèmes de santé et c’est précisément pour des raisons de santé publique (17% de la population est en situation d’obésité) que le gouvernement a lancé fin 2022 ce programme « mieux manger pour tous » doté d’un fonds d’aide alimentaire durable de 60 millions d’euros.
Consolider les alliances locales
- Rayon de l’épicerie solidaire "La Passerelle" à Blois
Deux des quatre thématiques promues par l’appel à projet régional appellent à développer des coopérations locales entre producteurs, associations d’aide alimentaire et collectivités et de s’appuyer, lorsqu’ils existent, sur les Projets alimentaires territoriaux (PAT) lancés dès 2014 par le ministère de l’agriculture pour "accélérer la transition agricole et alimentaire, en rapprochant producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités territoriales et consommateurs".
C’est précisément l’objet du projet porté par l’association « Parmentier », créée en juin 2023 à Blois, qui s’inscrit dans un des axes prioritaires du PAT du Pays des Châteaux : approvisionner en produits frais et locaux les personnes en précarité alimentaire.
« Nous nous appuyons sur 3 structures d’aide alimentaire, » explique Camille DEBACKER, coordinateur du projet : « Les Restos du Cœur, la Banque alimentaire et son plus gros client l’épicerie sociale « La Passerelle ». A ce jour, nous travaillons avec 10 producteurs locaux mais nous en recherchons d’autres pour élargir notre gamme de produits. Les prix des produits sont négociés dans le cadre d’une mercuriale commune pour que tous soient assurer de bénéficier d’un juste revenu. En 2023, nous leur avons acheté 11 tonnes de denrées, pour un montant de 32 000 euros, qui sont revendues aux structures caritatives. Celles-ci disposent de fonds publics dans le cadre de l’appel à projet national pour ces achats. Notre ambition pour 2024 est de tripler nos achats, soit 40 tonnes de produits et ainsi de baisser notre coût logistique/ kilo de marchandises distribuées. C’est « Bio solidaire/Jardin de Cocagne « qui assure cette logistique : relation avec les agriculteurs, transport, stockage... »
Permettre au bénéficiaire de choisir ses produits
L’autre objectif du projet est de redonner du pouvoir d’agir aux personnes précaires en leur permettant de choisir eux même les fruits et légumes qu’ils affectionnent et, à terme, le lieu de leur achat à partir d’une liste de fournisseurs accrédités. « C’est ce que nous expérimentons depuis un an via un groupement de commandes faites par 20 familles en précarité poursuit Camille DEBACKER. "On donne à chaque famille un bon d’achat de 15 euros et chacune est libre d’acheter les produits qui l’intéressent et qu’elle vient chercher chaque semaine au siège de Bio Solidaire. En 2024, nous allons tester d’autres groupements de commandes avec des centres sociaux et l’association » Territoires zéro chômeurs de longue durée » sur le territoire d’Agglopolys.
Par ailleurs nous allons développer diverses animations visant l’interconnaissance entre les différents acteurs et particulièrement entre les producteurs et les personnes en précarité associées à notre projet "Mieux manger ensemble".
« La plupart des projets que nous avons sélectionnés visent à susciter l’implication des bénéficiaires de l’aide alimentaire » constate pour sa part Mathias ROCCI, chef de service au Pôle Cohésion sociale de la DREETS. « Ainsi, beaucoup de projets intègrent des ateliers de cuisine, des visites de fermes, voire des actions de glanage ou de cueillette solidaire ».
Bar à fruits au carnaval de quartier
- Stand "Bar à fruits" lors du carnaval de quartier
A Bourges, au sein même des deux quartiers prioritaires de la ville (QPV), l’association BioBerry avait dès 2017 créer un point de vente de produits locaux et biologiques. Fort de cette expérience, elle souhaite aujourd’hui grâce au programme « Mieux manger pour tous », coconstruire avec les habitants des actions de glanage et les impliquer dans la création et l’entretien de jardins nourriciers en milieu urbain. « Avec des habitants volontaires, nous allons installer un barnum sur un des marchés berruyers hebdomadaires et nous collecterons à cette occasion des fruits et légumes sur les stands des commerçants qui veulent s’en débarrasser » précise Aurore LE GOUGE, coordonnatrice du projet à BioBerry. « Il y a 10 jours, lors du carnaval de quartier, j’ai tenu un stand « bar à fruits » et cela a été un vrai succès. Mes 15 kilos de fruits ont tous été consommés ».
- Barnum sur un marché de la ville de Bourges
_ Depuis décembre dernier, elle a rencontré une dizaine d’associations locales pour leur présenter le projet. « Mon but est de former des animateurs associatifs afin qu’ils soient ensuite eux même en mesure d’organiser des ateliers de sensibilisation à l’alimentation durable, des ateliers de cuisine… et d’intégrer les bonnes pratiques alimentaires dans le fonctionnement même de leur association » ajoute-t-elle. « A titre d’exemple, pourquoi ne pourraient-ils pas proposer aux enfants des goûters confectionnés à partir de fruits et produits bio ?
Par ailleurs, un bailleur sociaux m’a signalé hier qu’au pied d’une de leur résidence, des locataires avaient commencé à construire un mini jardin partagé en dehors de toute autorisation. Je vais essayer de structurer cette initiative, de la faire grandir et, si cela fonctionne, de la dupliquer dans un autre quartier ».
Changer de regard
- Illustration "Le mouvement associatif"
Au-delà de l’accès à des produits sains et de saisons, l’enjeu est donc bien de changer profondément le regard des bénéficiaires sur leurs pratiques alimentaires : redécouvrir le plaisir de cuisiner, de faire soi-même des conserves, mais aussi s’intéresser aux qualités nutritionnels des aliments, à l’apport du sport en complément d’une alimentation saine, et à l’importance du recyclage des bio déchets.
Pour favoriser la mise en œuvre de cette mini-révolution dans le quotidien des personnes en précarité, le Mouvement associatif Centre-Val de Loire a choisi de proposer, sur la métropole d’Orléans, un « parcours co-constructif d’initiation au mieux manger pour tous ». « Ce projet est mis en place par un consortium de 10 structures » [1] indique Bérémy OTTO, son coordonnateur « et cible les personnes ayant recours à l’aide alimentaire mais aussi des étudiants, des résidents des quartiers de La source et de l’Argonne, et des salariés de structures d’insertion par l’activité économique.
Le parcours d’initiation se déroulera sous forme d’ateliers, avec comme objectifs « mieux manger local et de saison, réaliser des achats raisonnés et écoresponsables » et « retrouver le plaisir de cuisiner et limiter le gaspillage alimentaire ». Par ailleurs, le but est aussi de faciliter l’inclusion numérique des bénéficiaires en les aidant à moins subir l’inflation sur les produits alimentaires par la prise en main d’outils tels que le drive et d’autres applications de comparaison des prix des grandes et moyennes surfaces ».
Briser les a priori sur le vrac
« On vient d’animer un atelier sur le vrac avec les étudiants » indique Bérémy OTTO. « Il s’agit de prendre conscience de l’impact écologique des emballages et de briser les stéréotypes. Non, le vrac, ce n’est pas forcément plus cher. Avec l’association « Campus Ecolo », nous organiserons prochainement un apéro-débat de sensibilisation aux Bécqués, un bar-épicerie spécialisé dans la vente en vrac de produits artisanaux dédiés à l’apéritif. Nous travaillons aussi avec un nutritionniste sur la confection d’un quizz participatif « activité physique et santé ». A partir de cette animation, nous comptons réaliser un livret pratique du style « 20 exercices pour bouger chez soi, à l’école ou au travail ». Enfin, je tiens à rappeler que notre projet est basé sur le principe du droit à l’alimentation, et rejoint donc « le Collectif régional pour un droit à l’alimentation » animé par InPACT Centre ».
Notes
[1] Le Mouvement Associatif CVL, SOLEMBIO (Jardin de Cocagne), Secours Catholique, EMMAÜS CONNECT, Réseau Vrac & Réemploi, Aabraysie Développement, Familles Rurales, Comité Régional Olympique et Sportif (CROS), Saveurs & Talents, Le Relais Orléanais