« L’emploi est le principal facteur d’inclusion sociale dans les quartiers »
Publié le 29 juin 2022
Hocine HADJAB, Chef du service Politique de la ville à la DREETS nous donne des premiers éléments de réponse.
L’accès à l’emploi est un des objectifs majeurs de l’Etat dans les QPV où le taux de chômage est près de trois fois supérieur à la moyenne nationale ?
Hocine HADJAB : oui, car c’est le facteur principal d’inclusion sociale. Obtenir un emploi durable, c’est avoir la possibilité d’accéder à un logement, d’acheter une voiture, d’obtenir un prêt… Les difficultés d’accès au marché du travail des jeunes de ces quartiers viennent en partie qu’ils poursuivent moins longtemps leurs études et entrent donc plus tôt dans la vie active (Etude Insee Centre-VDL mai 2022). Résultat : seuls 27% des habitants des QPV ont un diplôme de niveau Bac ou plus. Par ailleurs, on constate une sur-occupation d’emplois précaires (28%) et une surreprésentation de foyers monoparentaux ou de familles nombreuses. Face à cet état des lieux, la politique de la ville vise à garantir aux habitants des QPV les mêmes opportunités d’insertion qu’à l’ensemble de la population. Cela passe par une action volontariste pour favoriser leur accès aux dispositifs de droit commun (offre de service de Pôle emploi et des missions locales, accès à la formation professionnelle, contrats aidés, parrainage…) mais aussi par le déploiement de dispositifs spécifiques, adaptés à leurs besoins.
L’expérimentation des Cités de l’emploi dans 3 départements [2] de la région fait partie de ces dispositifs spécifiques ?
HH : oui tout à fait. Ces expérimentations, portées par l’agence nationale de la cohésion des territoires en lien avec le ministère de l’emploi [3], visent à mieux coordonner l’action de tous les acteurs locaux en faveur de l’emploi dans les quartiers prioritaires : collectivités, service public de l’emploi, associations, bailleurs sociaux, CAF, entreprises… Ce collectif, établit un diagnostic précis des besoins de son territoire qui lui permettre d’identifier des publics particuliers pour lesquels un accompagnement sur-mesure semble indispensable pour lever des freins à l’insertion professionnelle : problème de santé, difficulté linguistique, absence de moyens de transport, logement inadapté, réseaux professionnels insuffisants…
A titre d’exemple, les associations impliquées dans la cité de l’emploi de Bourges, ont constaté que la moitié des femmes de leurs deux quartiers prioritaires ne travaillaient pas. Ils ont donc décidé d’accompagner 3 cohortes de 15 femmes isolées et/ou monoparentales. Celles-ci ont pu participer dans ce cadre à plusieurs ateliers collectifs (maitrise des outils numériques, théâtre, soins esthétiques, découverte des administrations …) qui leur ont permis de reprendre peu à peu confiance en elles et de construire leur projet professionnel. Elles ont aussi pu visiter plusieurs entreprises locales et un quart d’entre elles ont même choisi de s’engager dans un parcours de formation qualifiante. A l’issue de cette période d’accompagnement renforcé, 90 % de ces femmes ont pu décrocher une embauche en emploi durable (CDI ou CDD de plus de 6 mois) sachant que préalablement, une solution pour la garde de leurs enfants et le transport (navettes domicile-travail) leur avait été trouvée. Les 10% restantes se sont quant à elle tournées vers la création d’entreprise.
Comment faire pour inciter les entreprises et le monde économique à ouvrir davantage ses portes aux habitants des quartiers sensibles ?
HH : Il y 3, 4 ans le gouvernement a lancé le PAQTE « Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises ». Ce dispositif, qui prend la suite des chartes « entreprises et quartiers », incite les entreprises à s’engager en faveur des habitants des QPV via 4 axes d’intervention : sensibiliser (faire découvrir son entreprise), recruter (veiller à éviter les biais discriminants à l’embauche), former (promouvoir les formations en alternance) et acheter responsable (notamment auprès des entreprises implantées dans les quartiers).
En signant une charte d’engagement PAQTE, l’entreprise manifeste sa volonté de travailler en réseau avec tous les acteurs publics et associatifs intervenant sur le quartier pour favoriser son développement économique et social. C’est la même dynamique qui est à l’œuvre avec la communauté « les entreprises s’engagent » pour l’emploi et l’inclusion initiée en 2019 par le Président de la république. A ce jour, il existe un club « les entreprises s’engagent » dans chaque département de notre région. Les entreprises membres de ces clubs s’impliquent dans des actions concrètes en faveur des publics ayant des difficultés d’insertion professionnelle, qu’ils habitent dans des QPV ou non. Il peut s’agir d’accueillir des demandeurs d’emploi en immersion professionnelle, d’inciter ses salariés à devenir parrain/marraine pour des jeunes, de proposer des stage à des élèves de 3ème … En retour de leur engagement, les entreprises valorisent leur image d’entreprise citoyenne et leur marque employeur. Je constate qu’il est plus facile de mobiliser des dynamiques collectives associant le monde économique dans des petits territoires comme Issoudun, Saint-Amand-Montrond ou Nogent-le Rotrou, car tout le monde se connaît. Cela facilite l’interconnaissance mutuelle, les coopérations et les co-constructions, et de ce fait les messages circulent vite. Dans de grand quartier urbain comme La Source à Orléans, c’est un peu plus difficile.
Chez les jeunes qui ne sont ni scolarisés, ni en emploi, seulement la moitié sont inscrits à une mission locale. Où sont les autres et comment les identifier ?
HH : C’est tout le problème du repérage de ces jeunes dits « invisibles ». Dans les quartiers, les adultes relais jouent un rôle clé pour les inciter à sortir de leur isolement et pousser cette fameuse « première porte ». Une fois qu’un jeune a repris contact avec une structure (mission locale, association spécialisée…) il doit prendre le temps de travailler avec son conseiller sur son rapport au travail : quelle est la place qu’il souhaite donner au travail dans sa vie, quelle perception a-t-il du monde du travail à travers ses multiples dimensions : salaire, autonomie, statut social… ?
Une fois le lien de confiance mutuelle renoué, il faut toujours veiller à ce qu’il ne décroche pas en limitant les ruptures de parcours et tendre vers l’irréversibilité. Car arrive une phase ou on voit s’émousser l’intensité liée à l’accès à l’emploi. Il faut alors l’aider à retrouver un second souffle en gardant le contact avec lui et s’assurer que son intégration dans l’entreprise se passe bien. Le rôle des mentors (ou parrains) est à cet égard primordial. Ce sont des adultes acceptant de partager leur expérience avec leur jeune filleul et de le conseiller dans la durée tout au long de son parcours d’insertion. Plusieurs associations que nous mandatons sur des projets d’accompagnement ont su aussi innover pour parvenir à motiver les jeunes et les remettre dans une dynamique. C’est le cas du CREPI 37 qui a proposé à 12 jeunes l’an passé de participer à un « escape Game » pour revisiter de manière interactive leur préparation à un entretien d’embauche : comment faut-il s’habiller, comment s’assurer de ne pas arriver en retard… Cela a très bien fonctionné et au final, sur les 12 jeunes, la moitié a obtenu un premier contrat de travail et deux se sont engagés dans un service civique.
En conclusion je dirai qu’il existe encore trop de préjugés réciproques entre les habitants des quartiers et le monde économique. Il faut que des deux côtés les barrières tombent et que soient renoués des liens de confiance et de bienveillance mutuelle. C’est ce à quoi s’emploient les entreprises « inclusives » et tous les acteurs locaux que l’Etat soutient au quotidien dans le cadre de la politique de la ville.
Propos recueillis par Pierre DUSSIN
Notes
[1] 3 points de plus qu’au niveau national- source étude INSEE CVDL mai 2022
[2] Cher, Eure-et-Loir et Indre-et-Loire
[3] DGEFP