Lutte contre la pauvreté : prendre en compte le contexte local et les attentes des bénéficiaires
Publié le 25 septembre 2023 | Dernière mise à jour le 9 juillet 2024
- Véronique CARRE, commissaire à la lutte contre la pauvreté en Centre-Val de Loire
Près de 9 millions d’euros ont été mobilisés en 2022 par l’Etat pour prévenir et lutter contre la pauvreté dans notre région. Toutefois, en cette rentrée 2023, la situation des personnes en précarité n’a-t-elle pas tendance à se dégrader ?
Véronique CARRE : Bien que la région Centre-Val de Loire ne fasse pas partie des régions métropolitaines où la pauvreté est la plus élevée (12,9 % soit 1,5 point de moins qu’en France métropolitaine), l’augmentation du coût de l’énergie, l’inflation, notamment sur l’alimentaire même si elle semble aujourd’hui se stabiliser, sans oublier les prix à la pompe qui repartent à la hausse depuis juillet, renforcent le ressenti d’un taux de pauvreté en augmentation.
Résultat, un public plus nombreux sollicite notamment les associations de distribution des produits alimentaires et/ou s’adresse aux Points Conseil Budget signalant des difficultés bancaires. Il peut s’agir des personnes définies à partir du calcul du seuil de pauvreté [4] mais aussi de personnes qui s’en rapprochent : étudiants, familles monoparentales, demandeurs d’emploi, travailleurs pauvres et retraités. Les ménages pauvres - un habitant sur huit en région vit sous le seuil de pauvreté -vivent pour leur part surtout dans les centres urbains des grandes agglomérations et dans les territoires ruraux du sud de la région. Seules 10% des communes, totalisant 60% de la population, concentrent 80% des bas revenus.
A partir de 2024, le Pacte des solidarités prendra la suite de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté initiée par le Gouvernement en 2018. Quelles actions conduisez-vous dans cette année transitoire en vue de la construction des Pactes locaux de solidarités qui devront être signés au plus tard fin mars 2024 ?
VC : Depuis juillet 2023, les prestataires retenus pour appuyer l’État, les départements et les métropoles de la région dans l’élaboration des pactes locaux des solidarités, réalisent des entretiens avec l’ensemble des parties prenante en vue de la rédaction de diagnostics locaux partagés sur les actions à porter dans les quatre prochaines années pour prévenir et lutter contre la pauvreté au regard des 4 axes du Pacte des Solidarités (cf encadré ci-dessous). Les premières tendances issues de ces échanges seront présentées fin octobre/début novembre 2023 lors de réunions départementales en présence des préfets et des conseils départementaux. Ces diagnostics permettront d’orienter et prioriser les actions à conduire dans le cadre des futurs pactes locaux de solidarités.
Parallèlement, j’ai lancé un appel à manifestation d’intérêt régional « Alliances Locales des Solidarités » pour faire remonter dès juillet dernier des projets susceptibles de s’inscrire autour des axes du futur Pacte des Solidarités. Sur les 89 dossiers reçus, 3 thématiques principales émergent : la lutte contre la reproduction des inégalités via l’accompagnement à la parentalité de jeunes mères ou familles monoparentales, l’accès aux droits et la lutte contre l’illettrisme et/ou l’illectronisme et enfin l’accès à l’emploi à travers des actions visant notamment la levée des « freins périphériques « . Au final, près de 1,4 millions d’euros sont mobilisés par l’Etat pour conduire les projets qui seront retenus.
En matière de gouvernance de la stratégie pauvreté en Centre-Val de Loire, vous avez souhaité relancer le groupe régional des acteurs de la solidarité mis en place par votre prédécesseur ?
VC : Oui, afin de pouvoir apprécier les besoins du territoire et avoir une vision large de l’action menée dans le cadre de la feuille de route définie en 2021, j’ai, dès le 16 juin 2023, réuni le groupe régional des acteurs de la solidarité composés du réseau associatif, des directions régionales de l’Etat concernées (DREETS, DRAAF, DREAL, DRAJES, Rectorat et ARS), des opérateurs de l’emploi, de l’action sociale et des CAF. J’ai aussi tenu à ce que soient représentées au sein de cette instance les personnes concernées via un délégué, membre du conseil d’administration de l’antenne régionale de la Fédération des acteurs de la solidarité.
La conférence régionale annuelle des acteurs de la solidarité se déroulera le 12 octobre prochain à Orléans. C’est un moment fort qui va permettre de mobiliser tous les acteurs locaux impliqués dans la mise en œuvre des actions du Pacte en 2024 ?
VC : C’est un moment important qui a été proposé au Groupe Régional des acteurs de la solidarité le 11 juillet dernier au cours de laquelle a été préparée cette journée. La matinée sera consacrée au bilan de la stratégie pauvreté 2022/2023, bilan qui sera illustré par des actions départementales phares menées sur cette période et qui pourraient être reprises ou être des pistes de réflexion dans le cadre de l’élaboration des futurs pactes locaux des solidarités sur la période 2024/2027. L’après-midi, les participants (DEETS.PP, services déconcentrés de l’Etat, Rectorat, ARS, Conseils départementaux, CAF, Service public de l’emploi, collectivités territoriales, associations…) échangeront en ateliers sur les partenariats et actions pouvant être conduites autour des 4 axes du futur Pacte.
Le nouveau Pacte des solidarités 2023-2027 va-t-il pouvoir vraiment accroître l’efficience des actions conduites pour lutter contre la pauvreté ?
VC : L’action menée pour prévenir et lutter contre la pauvreté doit pouvoir être évaluer et les actions portées dans le cadre des futurs pactes locaux des solidarités doivent avoir un impact favorable sur le public en situation de précarité et de pauvreté. Le renforcement de la dynamique partenariale et le calibrage d’actions sur mesure en adéquation aux besoins locaux identifiés dans les diagnostics partagés permettront, je l’espère, de constater l’efficience de l’action conduite en la matière. Ensemble, nous serons vigilants à ce que les projets portés soient bien en mesure d’évaluer l’impact social et aient bien associé les personnes concernées (bénéficiaires des actions) dans leur élaboration. La complémentarité des acteurs privés et/ou publics mobilisés est un gage évident de réussite. Je travaille d’ailleurs au quotidien avec les services de l’État, les élus, les acteurs sociaux, les associations à veiller à la complémentarité des actions déployées avec les dispositifs existants. C’est mon rôle d’assemblier », de facilitateur en quelque sorte, dans le cadre du suivi de cette action interministérielle.
Propos recueillis par Pierre DUSSIN
• La prévention de la pauvreté par la lutte contre les inégalités à la racine
- Éviter la reproduction de la pauvreté entre générations en agissant dès l’enfance
- Protéger les personnes dans les moments de rupture afin d’éviter un basculement dans la précarité
• L’amplification de la politique d’accès au travail pour tous - Améliorer significativement l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi dans le cadre de France Travail, notamment en levant les barrières limitant la reprise du travail (absence de mode d’accueil du jeune enfant, solutions de mobilité...)
• La lutte contre la grande exclusion - Assurer l’égale dignité de chacun par la garantie d’un même accès aux droits et aux services, dès la naissance et à chaque étape de la vie
- Lutter contre le non-recours : « Territoires zéro non recours » et solidarité à la source
• L’organisation solidaire de la transition écologique
Les enjeux de transitions climatiques, écologiques et énergétiques doivent devenir des leviers de lutte contre la pauvreté - Réduction des dépenses contraintes (alimentation, logement, mobilité)
Notes
[1] +25% de sollicitation auprès des associations de distribution entre fin 2022 et début 2023
[2] Baromètre de l’inclusion financière de juillet 2023
[3] DREETS Indicateurs – Emploi et taux de chômage – données du 1er trimestre 2023
[4] Le seuil de pauvreté est fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian de la population. Il correspond à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne vivant seule et de 2 314 euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14 ans.