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Mohamed, 22 ans : après "l’enfer sur terre", une médaille d’or au congrès COBATY

Publié le 12 octobre 2023 | Dernière mise à jour le 17 octobre 2023

Le parcours migratoire de ce jeune ivoirien est édifiant. Parti de son village à 14 ans en 2017 avec son frère, il traverse le Burkina Faso, le Niger pour arriver en Libye où il connaîtra l’horreur. Accueilli en France en tant que mineur non accompagné, il obtiendra ensuite ses 2 CAP de menuisier (installateur et fabricant) et sera accompagné par le GEIQ BTP Loiret avant de recevoir la médaille d’or au Congrès COBATY d’Orléans.
Mohamed TEME et Isabelle DUBILLOT, directrice du GEIQ BTP 45

Petit garçon, Mohamed n’imaginait surement pas qu’à l’aube de ses 20 ans, il monterait sur scène pour raconter son parcours ou recevoir une médaille d’or au congrès COBATY 2023 d’Orléans. Quelques années auparavant, il vivait encore dans sa ville natale de Côte d’Ivoire, à Bouna, et ses après-midi étaient consacrées au pâturage des troupeaux de moutons. Avec sa mère, il ramassait ensuite du bois et des broussailles pour faire chauffer de l’eau et préparer la nourriture. Côté paternel en revanche, depuis sa naissance en décembre 2001, c’était le grand vide. Lorsqu’il interrogeait son grand frère sur ce père inconnu, celui-ci lui intimait de « ne pas chercher à comprendre ». De fait, Mohamed se contentait de l’amour de sa mère. « Elle m’a comblé » affirme le jeune homme.

La manche devant la mosquée

Celui qui régentait la vie de la famille était son oncle, le grand frère de son père. L’homme avait créé une sorte d’école coranique dans une pièce de sa maison, que Mohamed était sommé de fréquenter chaque matin avec quelques camarades. Sa langue natale, le Dioula, et la langue officielle, le Français, furent mises de côté au profit de l’Arabe. Il apprit à prononcer des mots en parcourant le Coran, sans qu’on ne lui expliquât jamais leur signification. Le vendredi, jour de grande prière, tous les élèves devaient se poster devant les mosquées pour mendier et rapporter ce qu’on leur donnait : du riz, du mil, du sorgho, parfois des pièces. Les enfants de l’oncle, quant à eux, se rendaient chaque jour à l’école française, et dans leur emploi du temps, il n’était pas question de faire la manche. « J’ai fini par comprendre que nous étions des instruments, mais je m’en foutais, j’avais ma mère auprès de moi… » souffle Mohamed. Une mère qui fuyait souvent Bouna pour rendre visite à sa sœur à Abidjan. « En Afrique, cela ne choque personne que des enfants de cinq ans soient seuls dans la rue. Il y a la maison des femmes et celle des hommes, on mange et on dort où on se trouve, c’est comme ça » justifie-t-il.

« J’ai compris ce qu’était l’enfer sur terre… »

Une nuit de 2017, son grand frère, bien habillé, vint le chercher dans la maison des hommes. Mohamed n’a alors que 14 ans, il obéit à l’autorité de l’ainé. Direction Abidjan, point de départ d’un périple qui les mènera d’abord au Burkina Faso, puis au Niger et en Libye. « Je n’ai pas posé de questions, j’ai suivi mon frère, il ne pouvait pas me faire du mal. Mais en arrivant en Libye, en voyant les voitures incendiées, les trous de grenade, les maisons détruites, j’ai compris ce qu’était l’enfer sur terre. » C’est en effet dans ce pays que l’enfer va commencer.
A peine a-t’il posé un pied en Libye que son frère, tabassé à coup de crosses de kalachnikov par des Libyens pour avoir tenté d’empêcher l’un d’entre eux de kidnapper une femme, mourut de ses blessures. Mohamed creusa un trou avec quelques compagnons d’infortune pour l’enterrer. A cours de ressources et dépossédé de tout, il ne put même pas prévenir sa mère. Emprisonné dans une maison avec du pain pour seule nourriture, les autorités libyennes l’utilisèrent pour ramasser les plastiques sur la plage, ou décharger les briques des bateaux.
Mais un soir, au milieu des cargos militaires, l’adolescent parvint à se faufiler dans un rang et à monter dans un zodiaque.« A force de connaître toutes ces souffrances, la peur n’existe plus, tu ne crains plus rien  » développe Mohamed. En mer, secouru par l’armée italienne, il accosta d’abord en Sicile puis finit par arriver à Vintimille en suivant de loin un groupe d’Ivoiriens. Après dix tentatives pour rejoindre la France en train, et autant de reconduites, il parvint à atteindre Nice, puis Paris. Le lendemain, il proposa son aide à une femme africaine pour porter ses bagages dans la gare. Miracle, elle parlait le Dounia. Il la suivit, discrètement, jusqu’à Orléans, où elle lui conseilla de se rendre à la police. Au poste de gendarmerie, affamé et assoiffé, on lui offrit à boire et à manger. Il raconta son histoire et enfin, put appeler sa mère. Les policiers l’orientèrent alors vers une structure d’accueil pour mineurs non accompagnés. Pris en charge par le département, Mohamed commença à apprendre le français, à lire et à écrire…

« En France, j’ai rencontré de belles personnes… »

Le jeune ivoirien a conservé de son enfance la nostalgie des odeurs de bois. Un employeur accepta de le prendre en stage pour l’accompagner dans sa formation CAP menuisier. Il obtint deux CAP de menuisier, installateur et fabricant, en 2020 et 2021. Sur les chantiers, il fait l’unanimité. Travailleur, ponctuel, à l’écoute, son chef d’atelier ne tarit pas d’éloge. « Mohamed possède un très bon état d’esprit, il est travailleur et volontaire ! Je n’ai jamais dû constater une absence ou un retard en formation ».
Mohamed est suivi par le GEIQ BTP du Loiret [1] depuis deux ans et en particulier par Isabelle DUBILLOT, directrice, qui a pris les rênes de la structure en 2018. Cette ancienne restauratrice et comptable, femme énergique et lucide, a été touchée par la capacité de résilience et la volonté sans faille du jeune ivoirien.
Déterminé et rêvant de fonder une famille, Mohamed compte bien ne pas s’arrêter là. Il prépare aujourd’hui un Brevet Professionnel, tout en poursuivant ses cours de français. Son objectif professionnel : créer dans cinq ans son entreprise. Lorsqu’il évoque son pays d’accueil, il comprend mal certaines critiques : « Moi, en France, j’ai eu la chance de ne rencontrer que de belles personnes. J’aimerai écrire un livre pour raconter comment j’ai été accueilli ici... »

Laurence Boléat.

Notes

[1En l’espace de cinq ans, le Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) BTP Loiret est passé de quinze à soixante-dix alternants, avec un taux de réussite vers l’emploi durable de 70 %