Mobilisation contre les fraudes à la prestation de services internationale

Publié le 16 juillet 2015

La loi « Savary » du 10 juillet 2014 et le projet de loi Macron entendent durcir les sanctions envers les entreprises étrangères qui ne respectent pas le cadre légal relatif au détachement de travailleurs en France via une prestation de services internationale (PSI). En n’appliquant pas certaines dispositions prévues par le Code du travail (rémunération, durée du travail…), celles-ci sont accusées de concurrence déloyale. Pour lutter contre ce phénomène, les inspecteurs du travail de la DIRECCTE multiplient les contrôles, notamment dans le BTP en lien avec les Comités opérationnels départementaux anti-fraude.

Depuis la directive européenne de 1996 qui encadre la prestation de service internationale (PSI), les entreprises de l’UE doivent adresser à l’inspection du travail du pays dans lequel elles interviennent une déclaration préalable de détachement de leurs salariés. Un document qui précise la nature de la prestation, l’identité du donneur d’ordre, celles des travailleurs concernés ainsi que leur rémunération brute perçue dans le pays d’accueil. En France, ces déclarations sont transmises à l’Unité territoriale de la DIRECCTE du département où s’effectue la prestation.
Selon la Cour européenne de justice de l’UE, la PSI est autorisée sous réserve qu’elle concerne la réalisation d’un contrat commercial précis, pour une durée limitée liée à l’objet de ce contrat. De surcroît, l’entreprise étrangère prestataire doit exercer une activité réelle au sein de son pays d’établissement de manière « prépondérante et significative ». Enfin, elle est tenue durant la durée du détachement d’appliquer les dispositions légales et conventionnelles du pays d’accueil en termes de rémunération, de durée du travail, de respect des règles d’hygiène et de sécurité…

Les charges sociales du pays d’origine

Concrètement, le salaire attribué à ces salariés détachés doit être en France équivalent au moins au SMIC ou au minimum conventionnel. Etant entendu que les frais d’hébergement, de nourriture et de transport sont à la charge de l’employeur.
En revanche, les charges sociales sont elles, payées dans le pays d’origine de l’entreprise. Et c’est précisément ce qui explique ces dernières années la hausse exponentielle des déclarations de détachement enregistrées par le Ministère du travail. En effet, avec la crise, beaucoup de donneurs d’ordre, tout en respectant le cadre légal, sont allés chercher les prestataires les plus offrants. En l’occurrence, les pays où les taux de cotisations sociales sont moindres, tels le Luxembourg, la Pologne, la Roumanie, le Portugal… Résultat, en 2013, on a dénombré en région Centre-Val de Loire 8429 salariés détachés (+ 6% par rapport à 2012) alors qu’ils n’étaient que …806 en 2006.

Durcissement des sanctions contre la fraude

Parallèlement, les fraudes à la PSI explosent elles aussi. On estime ainsi chaque année à environ 100 000 le nombre d’employeurs étrangers n’ayant pas procédé aux formalités induites par le détachement de salariés. De plus nombre d’entre eux sont loin de rémunérer au SMIC ou au taux conventionnel leurs salariés intervenant dans le cadre d’une PSI. Selon un rapport publié en septembre dernier par la Cour des comptes, le manque à gagner pour les comptes de la Sécurité sociale, si ces emplois étaient occupés par des travailleurs non détachés payés au SMIC, avoisinerait 400 millions d’euros. Face à cette situation délétère qui ne fait que déstabiliser encore plus certains secteurs d’activité déjà touchés par la crise, tel que le BTP ou les transports routiers, le Gouvernement a décidé de réagir en érigeant le 12 février dernier la lutte contre les fraudes au détachement en priorité absolue. Plusieurs dispositions, inclues dans le projet de loi Macron, visent ainsi à renforcer l’arsenal juridique déjà étoffé par la loi « Savary » pour mieux sanctionner les fraudes. Et l’ensemble des administrations de l’Etat concernés (Inspection du travail, police et gendarmerie, URSSAF, services fiscaux et douaniers) sont appelées à augmenter le nombre de contrôles opérés conjointement dans le cadre des Comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), sous le co-pilotage du Préfet et du procureur de la République.

La DIRECCTE, au cœur des actions de contrôle

« La DIRECCTE est en première ligne dans la lutte contre la fraude à la PSI » observe Michèle Marchais, responsable du Pôle « travail » à la DIRECCTE Centre. « Suite à la réforme de l’inspection du travail entrée en vigueur fin 2014, nous disposons désormais d’une unité régionale d’appui et de contrôle du travail illégal (URACTI) composée de 3 agents à temps plein qui participent à tous les CODAF et n’hésitent pas à signaler des dossiers laissant présumer d’une fraude ».
Les 95 contrôleurs et inspecteurs du travail de la DIRECCTE, en visite quasi quotidienne dans les entreprises, sont à cet égard bien placés pour identifier des cas potentiellement délictueux. Des soupçons peuvent apparaître suite à un contrôle en cas de non présentation des « déclarations préalables de détachement ». Mais cela peut aussi venir d’une dénonciation ou d’une information recueillie auprès d’un salarié par les agents du service « renseignements droit du travail ».
« Aujourd’hui, il est moins fréquent de découvrir des travailleurs étrangers hébergés dans des conditions indignes ou touchant des salaires de misère » remarque Stanley Fortuna de l’URACTI. « Les entreprises étrangères délinquantes ont professionnalisé leurs pratiques. Dorénavant, elles louent des gîtes ruraux pour héberger leurs salariés et prennent soin de les rémunérer au SMIC. En revanche, elles ne vont pas déclarer toutes les heures de travail effectuées ou leur demanderont de leur reverser une partie de leur salaire en liquide pour payer les frais de logement ou de nourriture ».

Des contrôles conjoints plus efficaces

Face à cette situation, les contrôles conjoints opérés avec la gendarmerie (CELTIF*), l’URSSAF, les services fiscaux (BCR*)… s’avèrent être plus que jamais nécessaires. Ils permettent de déployer simultanément tous les moyens d’investigation disponibles ainsi que tout l’éventail des sanctions administratives et pénales. « Même pour une fraude simple au travail dissimulé, le parquet demande très souvent, en plus de nos procès-verbaux, une évaluation du montant des préjudices financiers induits que seuls nos collègues de l’URSSAF ou de la BCR sont à même de chiffrer » précise Thierry Métivier de l’URACTI. « En prenant soin d’élaborer avec eux un dossier complet, solidement étayé, nous gagnons du temps car le procureur sera moins enclin à demander des enquêtes complémentaires ».

Pour faciliter cette collaboration inter-services, la DIRECCTE a organisé le 20 mars dernier un séminaire régional qui a rassemblé près de 80 agents de contrôle issus de tous les services de l’Etat concernés. Le cadre juridique relatif à l’intervention des entreprises étrangères sur le territoire français leur a été présenté ainsi que les types de fraudes les plus couramment observées (voir encadré). « Cette rencontre a permis aux participants de disposer d’un socle minimal de connaissances sur le sujet » remarque Michèle Marchais. « Nous allons poursuivre à l’avenir ce type d’échange qui donne la possibilité aux différents services de mieux se connaître et d’échanger sur leurs pratiques et leurs modes d’intervention ».

Le BTP en ligne de mire

En 2015, 500 grands chantiers feront l’objet en France d’un contrôle et d’un suivi spécifique tout au long de l’année. En région Centre, 30 chantiers ont déjà été identifiés (5 par département) et l’URACTI vient en appui aux agents qui les contrôlent. Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics les sollicitations commerciales d’entreprises étrangères ont atteint une telle ampleur que certaines fédérations départementales se plaignent publiquement du harcèlement dont font l’objet leurs adhérents, assaillis d’offres « agressives » envoyées par fax par des prestataires étrangers. Conscient de l’importance du dossier, le ministère suit d’ores et déjà avec attention les retours des premiers contrôles. Le nombre de salariés détachés en situation irrégulière sera particulièrement scruté de même que le nombre de décisions de suspension et d’arrêt d’activité ainsi que le montant des sanctions administratives notifiées. « Dès le début du chantier si possible, il est nécessaire de rencontrer le maître d’ouvrage afin de bien identifier le maître d’œuvre, les différents donneurs d’ordre et leurs sous-traitants » note Lucas Ledeaut, membre de l’URACTI. « Si une entreprise détache des salariés, nous pouvons interroger le bureau de liaison de l’inspection du travail du pays où elle est établie afin de s’assurer qu’elle exerce bien une activité réelle et régulière dans ce pays. Si ce n’est pas le cas, nos collègues de l’URSSAF et des services fiscaux pourront procéder à un redressement car elle aurait dû s’établir sur notre territoire ».
Par ailleurs, l’augmentation de l’amende administrative prévu par le projet de loi Macron en cas de non-respect de la formalité de déclaration de détachement devrait être elle aussi dissuasive. Cette amende de 2000 euros par salarié non déclaré est aujourd’hui plafonnée à 10 000 euros. Le projet de loi porte l’amende maximale à 500 000 euros.

Le système d’inspection du travail en région Centre-Val de Loire
Chiffres-clés
  • 90 agents (responsables d’UC, inspecteurs et contrôleurs) répartis depuis septembre 2014 dans 10 unités de contrôle, 89 sections généralistes dont 17 sections à dominante agricole, 8 sections à dominante transport et 4 sections BTP
  • 3 agents à l’unité régionale d’appui et de contrôle du travail illégal (URACTI)
  • 6 services de renseignements du public dans les unités territoriales
  • 13 agents au niveau régional (ingénieurs, médecin, techniciens de prévention agricole, inspecteurs du travail)

En 2013, suite à 8719 interventions réalisées en entreprise, 4895 observations écrites et 201 mises en demeure ont été notifiées aux employeurs. 192 procès-verbaux ont été dressés pour 1346 infractions constatées.