Interview de Philippe Malizard, « commissaire au redressement productif » du Centre
Publié le 28 septembre 2012
Dans un contexte économique morose, marqué par un ralentissement de l’activité, le gouvernement (conseil des ministres du 13 juin dernier) a décidé de renforcer la réactivité des services déconcentrés de l’Etat en se dotant de commissaires régionaux. Ceux-ci ont toute latitude pour aider une entreprise fragile à repartir sur des bases solides en associant tous ses partenaires commerciaux et financiers et retrouver ainsi au plus vite une situation viable préservant l’emploi et l’activité.
A ce jour, les grandes entreprises (de plus de 400 salariés) ayant des difficultés financières ou industrielles peuvent solliciter une intervention du « Comité interministériel de restructuration industriel » (CIRI) qui les aide à trouver une solution. Les PME-PMI au niveau local peuvent quant à elles se tourner vers la « Commission des chefs de services financiers » (CCSF) et le « Comité départemental d’examen des difficultés de financement des entreprises » (CODEFI), deux instances relevant des Directions départementales des finances publiques (DDFIP), en lien avec d’autres services comme la DIRECCTE.
L’objet de la CCSF est d’accorder aux entreprises des délais de paiement supplémentaires pour pouvoir honorer leurs dettes fiscales et sociales et celui du CODEFI est de trouver des solutions de financement plus pérennes. Il appartient désormais à ces structures départementales, coordonnées par les Préfets, de transmettre au Commissaire régional les cas d’entreprises présentant des risques et auxquelles il convient d’apporter rapidement une réponse.
Direccte Infos : Dans le cadre de votre mission, vous réunissez tous les 15 jours une cellule régionale de correspondants « veille et alerte précoce » chargée d’étudier la situation de chaque entreprise en difficulté. Comment fonctionne cette cellule et quels sont ses premiers résultats ?
Philippe Malizard : Cette cellule est composée de représentants de la Direction régionale des finances publiques, de la DIRECCTE, de la Direction régionale de la Banque de France, de l’URSSAF, de services d’information, de la Cour d’appel, mais aussi de représentants des préfectures de département. Le Conseil régional du Centre y est aussi représenté.
Peuvent également être sollicités, en fonction des dossiers abordés, des sous-préfets, des opérateurs publics (OSEO, CDC, FSI Régions, UbiFrance…).
Lors de ces réunions, nous échangeons sur chaque cas d’entreprise qui est suivi par un référent clairement identifié. Les entreprises disparaissent de notre tableau de suivi, soit lorsque nous leur avons apporté une solution effective, soit, malheureusement, lorsqu’elles se retrouvent en liquidation judiciaire. Dans ce dernier cas, je peux être aussi sollicité pour rechercher un repreneur.
Actuellement, nous avons identifié dans la région près de 80 entreprises présentant des difficultés. Mais ce chiffre est sans doute sous-estimé car les chefs d’entreprises hésitent à évoquer leurs difficultés. Or, ils ne doivent pas attendre car ¾ des entreprises ayant alerté suffisamment tôt les services de l’Etat ont vu leur situation se redresser. A l’inverse, ¾ des entreprises qui ont été placées en redressement judiciaire terminent en liquidation.
Direccte Infos : Quels sont les principaux écueils auxquels se heurtent les entreprises ?
P.M : Il s’agit pour beaucoup de problèmes conjoncturels liés au contexte économique actuel qui les conduit à se retrouver en surcapacité de production. Cela crée généralement des tensions financières, les banques pointant du doigt des fonds propres ou des garanties insuffisantes pour l’octroi de nouveaux prêts, voire le simple renouvellement d’une ligne de crédit.
Mais il peut s’agir aussi de relations difficiles avec un donneur d’ordre, voire d’incidents techniques. A titre d’exemple, une entreprise de salaison a rencontré un problème d’hygiène ce qui a entraîné le blocage de la chaîne de production. Mais ce type d’incident demeure toutefois marginal.
Direccte Infos : Parallèlement au dispositif national de médiation du crédit, certains acteurs économiques locaux initient eux-mêmes des dispositifs similaires faisant appel à des « tiers de confiance » pour aider des entreprises ayant des difficultés financières ?
P.M : Oui, et il semble souhaitable d’encourager ces initiatives dans chaque département. Dans l’Indre, l’association EGEE, composée de cadres et de dirigeants à la retraite, appuie bénévolement et gratuitement des PME, avec le concours d’anciens experts comptables, banquiers et cadres connaissant bien le secteur d’activité de chaque entreprise concernée. Et cela fonctionne ! Ces six derniers mois, EGEE 36 a ainsi aidé à sauver plus d’une demi-douzaine d’entreprises et 114 emplois. En Loir-et-Cher, la CGPME a créé une plate-forme d’aide aux entreprises qui repose essentiellement sur la mobilisation bénévole d’employeurs et d’experts locaux. Enfin, en Indre-et-Loire, un Groupement de Prévention Agréé devrait voir le jour dans les prochains mois. Mais là, le service proposé aux chefs d’entreprise sera facturé, à l’instar des procédures existantes de mandat ad’hoc et de conciliation diligentées par les Présidents des tribunaux de commerce.
Direccte Infos : Vous-même, êtes-vous habilité à négocier avec les établissements bancaires, les donneurs d’ordre, fournisseurs, créanciers, actionnaires d’une entreprise pour faire émerger une solution globale ?
P.M : Oui, c’est même l’une de mes principales missions. Je me suis récemment déplacé dans l’Indre pour rencontrer un employeur qui se heurtait au refus de financement d’un de ses banquiers. J’ai soumis le problème au directeur régional de la Banque de France lequel, en étroite concertation avec le directeur régional d’OSEO qui a accepté d’apporter la garantie que demandait la banque, a débloqué la situation et permis à cette entreprise de 70 salariés de rebondir.
Direccte Infos : Quel appui la Direccte Centre vous apporte-t-elle ?
P.M : la Direccte est un élément clé du dispositif. D’une part, elle participe activement à la cellule de veille et d’alerte. D’autre part, au niveau local, les directeurs des unités territoriales et leurs collaborateurs, notamment les référents PME, connaissent bien les entreprises qu’ils accompagnent.
Le chargé de mission régional à l’intelligence économique de la Direccte peut aussi contribuer à la veille régionale, sans oublier les chargés de mission « développement économique » qui sont susceptibles de mobiliser leur expertise sur un secteur d’activité ou leur connaissance d’une entreprise qu’ils auraient auditée.
J’ai ainsi convenu récemment avec la chargée de mission référente en sous-traitance automobile que nous pourrons nous déplacer ensemble à la rencontre d’un sous-traitant en difficulté.
Direccte Infos : Bénéficiez-vous de l’expertise des services nationaux spécialisés des ministères, voire de celle de vos homologues des autres régions ?
Chaque semaine, je transmets un rapport au CIRI en signalant des cas d’entreprises susceptibles d’avoir un impact national. J’ai la possibilité de solliciter, le cas échéant, l’expertise du bureau des restructurations d’entreprises de la DGCIS, du bureau de l’action économique de la DGFIP et de plusieurs autres services spécialisés. J’ai également des réunions mensuelles avec les autres commissaires régionaux et je vais d’ailleurs devoir prendre contact avec certains d’entre eux au sujet d’entreprises de la région Centre qui sont également implantées dans leur région.
Direccte Infos : En définitive, plus vous êtes informé en amont des difficultés d’une entreprise, plus votre intervention a des chances d’être efficace ?
P.M : Absolument, et il est indispensable que chaque membre des différents réseaux participant ou non à la cellule régionale ait le réflexe d’alerter celle-ci d’une difficulté. Je compte d’ailleurs développer encore ce réseau en rencontrant les présidents et directeurs des chambres consulaires, l’ordre régional des experts comptables et d’autres acteurs instituionnels ou non. J’ai été invité au prochain congrès annuel des Présidents des tribunaux de commerce à Orléans et ce sera également pour moi l’occasion de tenter de créer avec eux des relations de confiance, indispensables pour aider efficacement les entreprises en difficulté.
Propos recueillis par Pierre Dussin
(*) : La moitié des commissaires régionaux au redressement productif font partie des DIRECCTE ; l’autre moitié exercent leur fonction dans d’autres services : Préfectures de région, DRFIP…