« La fraude au CPF devrait diminuer au regard des dernières mesures gouvernementales »
Publié le 25 septembre 2023 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
- Stéphane CARTIER, Chef du SRCFP
En préambule, comment expliquez-vous la forte hausse du nombre d’organismes de formation sollicitant votre service pour obtenir une déclaration d’activité ?
Stéphane CARTIER : Nous avons enregistré près de 1000 demandes de déclaration d’activité en 2022, soit plus du double de celles déposées en 2020. Résultat : fin 2022, nous dénombrons 3175 organismes de formation actifs déclarés sur la région, soit une progression annuelle de 8%, succédant elle-même à une progression de 13% enregistrée en 2021.
Je vois trois causes à cette évolution. Tout d’abord la mise en place de lacertification qualité QUALIOPI, obligatoire à compter du 1er janvier 2022 pour bénéficier de fonds publics ou mutualisés. Celle-ci a obligé les donneurs d’ordre à vérifier que leurs sous-traitants soient eux-mêmes enregistrés comme organismes de formation.
Ensuite, l’explosion du marché potentiel induit par la mise en place de la plateforme « moncompteformation » fin 2019, a aussi contribué à l’essor de nouveaux organismes de formation.
Enfin, l’ouverture de l’offre de formation en apprentissage voulue par la loi Avenir professionnelde 2018 s’est traduite par le triplement en quatre ans du nombre de CFA répertoriés en Centre-Val de Loire.
Lors de vos contrôles, vous devez vérifier si les actions conduites par le prestataire sont bien éligibles au CPF. Quelles sont les règles en la matière ?
Les actions de formation dispensées doivent impérativement préparer à des certifications enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou au Répertoire spécifique (RS). La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), gestionnaire du CPF, vérifie désormais que tout organisme de formation soit bien habilité à former par l’organisme certificateur (un ministère, une chambre consulaire, une école privée…) et déclaré comme tel auprès de France compétences. A noter qu’une formation préparant uniquement à un bloc de compétences d’une certification enregistrée au RNCP est éligible au CPF. De même sont éligibles les actions visant à faire valider les acquis de l’expérience (VAE), à réaliser un bilan de compétences, à passer le permis de conduire ainsi que les actions d’accompagnement à la création/reprise d’entreprises.
Concernant ce dernier type d’action, nous devons être vigilants et contrôler que le programme pédagogique proposé soit suffisamment large pour traiter tous les thèmes (marketing, finance, droit social, fiscalité…) nécessaires à l’acquisition de compétences entrepreneuriales par le futur chef d’entreprise. Nous pouvons être aussi amenés à vérifier que ce dernier a bien effectué à l’issue de sa formation une démarche effective de création/reprise d’entreprise.
Pour le bilan de compétences, lecahier des charges est très strict : il doit se dérouler sur 24 heures maximum étalées sur plusieurs semaines ou plusieurs mois et est organisé en trois phases. A son issu, le bénéficiaire doit recevoir une synthèse de ses résultats, détaillée et écrite, lui permettant de définir ou de confirmer son projet professionnel.
Vous devez aussi vous assurer de la réalisation effective des actions de formation ?
Oui c’est essentiel. Les prestataires sont tenus de nous présenter tous les documents et pièces pouvant justifier de la bonne exécution de la formation : feuilles d’émargement, plannings, contrats des formateurs, évaluations, attestations de fin de formation… Nous disposons d’un droit de communication auprès de la CDC nous permettant ainsi de disposer de la liste des formations financées au titre du CPF et les prestataires doivent être en mesure de nous transmettre un dossier détaillé sur chacune d’elles.
Si un stagiaire n’a pas suivi intégralement la formation, l’organisme doit indiquer à la CDC son taux de réalisation car celle-ci ne le paiera qu’au prorata du pourcentage de la formation suivie.
La part croissante de formations conduites en distanciel vous conduit-elle à faire évoluer vos pratiques de contrôle ?
Oui c’est évident car dans ce cas il appartient à l’organisme de nous apporter de nouvelles formes de justificatifs : émargements électroniques, justificatifs de connexion des stagiaires, évaluations, preuves d’interactions des stagiaires avec le responsable pédagogique (copie de mails ou de chat, enregistrement vidéo de cours en live…).
Nous devons être particulièrement attentifs aux formations à distance dans le domaine notamment des langues et de l’informatique. Nous avons en effet constaté que des organismes proposaient de simples plateformes d’e-learning n’incluant que des QCM d’autoévaluation et ne disposaient d’aucun formateur susceptible d’assurer une assistance pédagogique pourtant obligatoire pour ce type de formation.
De surcroît, certaines de ces plateformes ne conduisaient à aucune certification. Or le prestataire doit prouver qu’il a bien inscrit ses stagiaires à l’examen final aboutissant à la certification.
Concrètement, comment s’est soldé le contrôle des 9 organismes de formation financés par le CPF que vous avez conduit en 2022 ?
Cinq organismes de formation ont été sanctionnés et se sont vus infligés le remboursement à la CDC d’un montant global de 2,2 millions d’euros. Ce remboursement n’ayant pas été effectué dans les délais impartis, nous avons demandé à l’administration fiscale, via une décision préfectorale, de procéder elle-même au recouvrement de cette somme au profit du Trésor public.
Ces sanctions ont été prononcées à la suite de constats de fraudes diverses : absence des habilitations à former de la part des organismes certificateurs, sous réalisation ou absence totale de réalisation des actions de formation, réalisation d’actions de formation ne répondant pas aux critères d’éligibilité, absence d’encadrement technique et pédagogique concernant des formations à distance, publicités non conformes ou mensongères (référence erronée à des certifications ou à des financements publics…).
Pensez-vous qu’à l’avenir ces fraudes au CPF vont perdurer ?
Non je l’espère. Je pense que le nombre de dossiers litigieux à traiter par notre service concernant des prestataires financés au titre du CPF devrait diminuer. En effet le gouvernement a pris en 2022 une série de mesures de régulation (cf encadré ci-dessous) et la CDC elle-même s’est mobilisée pour prévenir et lutter contre la fraude. En 2021, elle avait déjà procédé, à la suite de contrôles internes, au déférencement de près de 1000 organismes de formation et 130 avaient même fait l’objet d’une suspension de paiement pour un montant total de 31,2 millions d’euros [1].
Enfin la loi de finances pour 2023 instaure un reste à charge pour les salariés qui souhaitent mobiliser leur Compte Personnel de Formation (CPF) pour financer une formation, un bilan de compétences ou une validation des acquis de l’expérience (VAE). La loi précise que cette participation « peut être proportionnelle au coût de la formation, dans la limite d’un plafond, ou fixée à une somme forfaitaire » [2]. Nous sommes donc dans l’attente d’un décret qui fixera ce pourcentage ou ce montant forfaitaire. Cela devrait permettre de responsabiliser davantage le salarié lors de son choix de formation au titre du CPF.
• Définition plus restrictive des actions d’accompagnement à la création/reprise d’entreprises (décret du 22 avril 2022),
• Nouvelle procédure d’enregistrement préalable des OFsur la plateforme Mon compte formation (à compter du 6 octobre 2022),
• Authentification renforcée des usagers sur le site CPF pour lutter contre l’usurpation d’identité avec « France Connect + » (depuis le 25 octobre 2022),
• Loi de finances pour 2023 a validé un reste à charge pour les titulaires d’un compte personnel de formation (dans l’attente du décret),
• Communication obligatoire par l’organisme de formation à la CDC de l’identité et des coordonnées du représentant légal, et du responsable pédagogique, administratif et financier (à compter du 18 avril 2023),
• Loi n° 2022 1587 du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au CPF et à interdire le démarchage des titulaires (article L 6323-8-1 du code du travail )